• L'inquisition espagnole des dominicains ou le massacre des juifs

     

     

    L'Inquisition espagnole au service de l'État

    Bartolomé Bennassar dans mensuel 15 

    daté septembre 1979 -  Gratuit

    Responsable de milliers d'exécutions capitales, l'Inquisition a mérité sa réputation de cruauté. Mais c'est oublier qu'elle fut d'abord un rouage essentiel de l'appareil d'Etat.

     

    Copenhague, septembre 1978 : colloque international organisé par Gustav Henningsen, l’un des meilleurs spécialistes de l’Inquisition. Cuenca, à la fin du même mois : grand rassemblement des chercheurs et des historiens qui se sont occupés peu ou prou de l’Inquisition espagnole ; empressement des mass média ; afflux des étudiants venus de toute l’Espagne ; compétition des éditeurs pour obtenir la publication des actes du congrès... Tout cela démontre que l’Inquisition interpelle la recherche historique contemporaine tout en suscitant la curiosité de l’opinion cultivée. De fait, la masse des publications concernant l’Inquisition ne cesse de déferler. La bibliographie générale de l’Inquisition, qui sera publiée prochainement par le Luxembourgeois Emil Van der Vekené, comportera plus de 4 000 titres dont plus de la moitié postérieurs à 1950 !

    Il est vrai que le goût nouveau pour l’histoire dite des mentalités n’a pu que stimuler l’intérêt pour une institution qui ne traquait pas seulement les actes ou les paroles des suspects mais aussi leurs croyances, leurs représentations mentales, cherchait à capter les sources de leurs idées. Les pièces des procès, souligne Gustav Henningsen, évoquent « les rapports médicaux d’une clinique psychiatrique, les notes d’un psychologue sur ses conversations avec ses patients, les analyses détaillées d’un sexologue sur les comportements sexuels anormaux, les notes de terrain d’un anthropologue [...], les analyses phénoménologiques d’un historien des religions... ». C’est pour cela que l’histoire de l’Inquisition n’a pas seulement un présent florissant. Elle a encore un avenir.

    Romaine ou Espagnole ?

    Mais, au fait, qu’est-ce que l’Inquisition espagnole ? La question n’est pas inutile. Elle remet au jour un débat ancien ouvert par l’historiographie du XIXe siècle mais qui n’a jamais été traité au fond. L’Inquisition fut-elle d’abord un tribunal d’Église ou un tribunal d’État, l’agent privilégié de l’activisme catholique ou un instrument politique d’une rare efficacité au service des rois d’Espagne ?

    De grands spécialistes de l’Inquisition ont tranché en faveur de la première thèse. L’Inquisition espagnole fut d’abord, selon eux, ce qu’elle affirme être : un « Saint-Office », un tribunal religieux, certains disent une « œuvre romaine ». Dès le XVIe siècle, il est vrai, le Livre des martyrs de John Foxe avait présenté l’Inquisition comme un simple avatar du catholicisme, capable de surgir dans n’importe quel pays catholique.

    Le plus grand historien de l’Inquisition, l’Américain Henry Charles Lea, lui-même, affirme que dans l’ensemble le tribunal du Saint-Office ne s’employa pas à poursuivre les objectifs de la Couronne. Plus nuancé, un autre historien anglo-saxon, Henry Kamen, commence par écrire : « L’Inquisition sous la forme qu’elle revêtait en 1483 et conserva par la suite était un instrument du pouvoir royal et elle demeura politiquement soumise à la Couronne, sans être pour autant un tribunal séculier. » Mais après cette affirmation il ajoute : « L’autorité et la juridiction exercées par les inquisiteurs d’Espagne venaient directement ou indirectement de Rome sans qui le tribunal aurait cessé d’exister. Les bulles de nomination, les réglementations canoniques, les sphères de juridiction étaient, toutes, soumises à l’approbation préalable du pape. L’Inquisition était donc essentiellement un tribunal ecclésiastique dont l’Église de Rome assumait l’entière responsabilité[1]. »

    Un rouage de l’appareil d’État

    Tout récemment, Louis Sala-Molins présentait sa traduction du Manuel des Inquisiteurs d’Eymerich, revu par Pena. Il affirme que l’Inquisition espagnole (appellation qu’il juge radicalement impropre) est avant tout, elle surtout, opus romanum, une œuvre romaine. Notamment, observe-t-il, parce que Rome contrôle l’Inquisition espagnole, comme les autres, par la nomination de son personnel. A propos du droit inquisitorial il précise, après une longue citation du Manuel : « Les instructions de l’Inquisition espagnole sont une manière d’être de l’Inquisition pontificale et le siège romain considère ces instructions-là exemplaires et autonomes parce que légitimées par l’autorité pontificale. » Et plus loin : « Rome [...] fonde dans leur légitimité les inquisitions régionales ou nationales dont elle contrôle totalement les pratiques, qui évoluent en son nom et dont elle constitue la dernière instance, le dernier appel[2]. »

    Je dois avouer que ma propre expérience des archives de l’Inquisition « espagnole » ne me permet pas d’accepter ces thèses, même si elles paraissent légitimées par le droit. Et cela pour toute une série de raisons : 

    - parce que nos auteurs ne semblent pas prêter une attention suffisante aux circonstances dans lesquelles l’Inquisition « espagnole » est née et s’est affermie. Je considère ici le premier demi-siècle de son existence, soit avant 1530 ; 

    - parce qu’ils esquivent le problème essentiel des rapports entre l’Église et l’État en Espagne avant la fin du XVIIIe siècle, il faudrait même dire des rapports entre les carrières d’Église et les carrières d’État ; 

    - enfin, parce qu’ils n’ont pas pris la peine d’examiner dans le détail la relation entre la politique de la monarchie espagnole (à l’intérieur comme à l’extérieur) et la pratique inquisitoriale qui ne dépend pas seulement des instructions, manuel de procédure, mais beaucoup plus des cartas acordadas émanées du Conseil de l’Inquisition, au gré de la conjoncture, et qui avaient force de loi.

    Bien entendu, il serait tout à fait ridicule de prétendre que l’Inquisition ne fut pas l’expression du catholicisme militant. Mais, à la lumière de ces expertises, je propose une vision différente de l’Inquisition « espagnole », élément capital de l’appareil d’État de la monarchie. Cette conception s’accorde avec celles de Ricardo Garcia Carcel et de S. Perez Villarino, deux historiens espagnols à qui l’on doit des travaux récents et importants sur l’Inquisition.

    L’Inquisition à la question

    D’abord quelques questions naïves.

    - Pourquoi le roi d’Aragon, Ferdinand, fut-il le principal champion de la création et du développement de la « nouvelle » Inquisition puisqu’une Inquisition « romaine », dans la dépendance directe de Rome, existait précisément depuis le XIIIe siècle dans son royaume ? Le livre de Garcia Carcel vient de démontrer qu’elle n’avait pas cessé son activité. Il a ainsi retrouvé à Valence quinze procès d’Inquisition de 1460 à 1467.

    - Pourquoi la bulle de création du pape Sixte IV, du 1er novembre 1478, concède-t-elle aux rois d’Aragon et de Castille les pouvoirs de nommer et de destituer « deux ou trois » ecclésiastiques comme inquisiteurs ? Pourquoi Ferdinand d’Aragon profite-t-il aussitôt de la situation pour « réformer » la vieille Inquisition d’Aragon en nommant lui-même les inquisiteurs?  Pourquoi, repoussant la prétention du pape à faire contrôler le Saint-Office par les évêques, Ferdinand obtient-il de Sixte IV une nouvelle bulle (du 17 octobre 1483) qui nomme Torquemada inquisiteur général d’Aragon, Valence et Catalogne, alors qu’il l’était déjà de Castille, ce qui revenait à placer l’Inquisition espagnole sous une autorité unique ?

    - Pourquoi, dès 1483, la création du Conseil de la Générale et Suprême Inquisition, conseil de gouvernement à l’égal des quatre autres : État, Finances, Castille, Aragon ? Pourquoi l’un des premiers inquisiteurs généraux, Jimenez de Cisneros, qui le fut de 1505 à 1517, est-il en même temps régent du royaume de Castille, ce qui signifie qu’il exerce la plénitude du pouvoir politique en même temps que le magistère inquisitorial ?

    - Pourquoi à cette époque les juifs jouissent-ils en Italie, et précisément à Rome, d’une relative tolérance ? Et pourquoi l’Inquisition « espagnole » fait-elle, dans ses commencements, la chasse aux conversos[3] exclusivement ou presque ? C’est là un fait indubitable qu’il ne sert à rien de contester car il est maintenant quantifié. Partout, à Tolède comme à Valence ou Séville, à Barcelone comme à Saragosse, l’immense majorité des victimes sont des judaïsants : partout plus de 90 ou de 95 %, parfois plus de 99 %. A Valence, 91,3 % des 2 354 personnes qui furent jugées avant 1530 étaient des judaïsants mais le pourcentage est encore beaucoup plus fort si on se limite à la période antérieure à 1505. A Barcelone, sur 1 199 personnes jugées avant 1505, huit seulement n’étaient pas des judaïsants !

    - Pourquoi les Cortès de Castille, d’Aragon, de Valence, de Catalogne, ont-elles manifesté de façon claire leur hostilité à la nouvelle institution ? Nous disposons à cet égard des documents publiés par Llorente. Pourquoi les opposants, et les conversos en particulier, se sont-ils adressés au pape et non au roi pour obtenir, sinon l’abolition, du moins la réforme de l’Institution ?

    - Pourquoi les papes, et notamment Léon X, furent-ils très près de suivre ces avis ? Et pourquoi l’Inquisition « espagnole » fut-elle consolidée par le pape Adrien VI, inquisiteur général de 1518 à 1522 et ancien précepteur de Charles Quint ?

    Une machine de guerre contre les libertés

    Les réponses à ces questions sont essentielles. Elles sont aujourd’hui assez faciles à donner. On voit aussitôt qu’elles mettent d’abord en cause l’attitude et les intentions des souverains. Il est patent que les rois catholiques et notamment Ferdinand d’Aragon ont vu dans l’Inquisition nouvelle manière un adjuvant puissant du centralisme monarchique, une force capable de désagréger les particularismes et les privilèges des « royaumes » ou principautés qui composaient l’Aragon.

    L’historien espagnol Ricardo Garcia Carcel a fait la démonstration du rôle de l’Inquisition à Valence, de la façon dont elle a été perçue comme un corps étranger par les Valenciens qui se sont opposés à elle avec obstination, et notamment l’Eglise valencienne, mais aussi de la volonté impitoyable de Ferdinand d’Aragon d’imposer le nouveau tribunal dont il choisit à dessein les juges en dehors de Valence. En 1486, l’opposition valencienne élabore le catalogue des contrafueros, c’est-à-dire des atteintes aux privilèges du royaume commises par le souverain par le canal de l’Inquisition et rappelle les fueros accordés par Jaime Ier[4]. Ferdinand n’en tient aucun compte : dès 1484 et 1485, il avait même promulgué deux pragmatiques interdisant que des bulles pontificales puissent être invoquées comme un changement d’attitude de la papauté. Ricardo Garcia Carcel n’hésite pas à affirmer que l’Inquisition « moderne » est un instrument réellement idoine pour l’affermissement de la puissance de l’État moderne nouveau-né.

    Il n’est donc pas étonnant que l’hostilité à l’Inquisition « moderne » ait été particulièrement forte dans les États du royaume d’Aragon où l’Inquisition existait cependant dès le XIIIe siècle. Ce n’est pas un paradoxe mais l’effet d’un changement capital. Mais l’opposition fut plus générale et elle fut exprimée nettement par les Cortès de Castille à Valladolid en 1518. Car il était désormais établi que les libertés des sujets étaient menacées par la procédure de la nouvelle institution, notamment par la pratique rigoureuse du secret et le régime des séquestres et des confiscations de biens. On verra plus loin comment l’Inquisition devint effectivement un agent irremplaçable du contrôle social au service de la monarchie.

    Les papes pris au piège

    Ces questions concernent également les papes. Il est à peu près évident que Sixte IV s’est laissé surprendre par la demande de souverains qu’il souhaitait favoriser, compte tenu du rôle qu’ils jouaient dans la « Croisade » : l’épisode définitif de la reconquête se prépare alors en Espagne. Au reste la bulle du 1er novembre 1478 avait une portée limitée : il ne s’agissait alors que de nommer « deux ou trois » ecclésiastiques âgés de plus de 40 ans comme inquisiteurs afin de mettre au pas les conversos andalous qui judaïsaient en secret.

    Puis le pape se fait extorquer, le 11 février 1482, un bref qui autorise la nomination de sept autres inquisiteurs : il s’agit encore de l’Andalousie mais déjà aussi de la Nouvelle-Castille.

    Or, Ferdinand fit un usage extensif de la bulle et du bref en « réformant » la vieille Inquisition d’Aragon pour la soumettre à son autorité directe. Dès la fin de l’année 1482, Sixte IV alerté tentait de revenir sur ses concessions : il condamnait dans une nouvelle bulle la « soif de lucre » de l’Inquisition, les jugements expéditifs et les mauvais traitements infligés à de nombreux chrétiens, réclamait enfin le contrôle du Saint-Office par les évêques. Il fallut une action énergique de la diplomatie de Ferdinand pour faire reculer le pape.

    Une nouvelle partie importante s’est jouée sous le pontificat de Léon X. L’action fut menée à Rome par les opposants largement pourvus d’argent par les conversos. Il s’agissait de limiter les pouvoirs de l’Inquisition et d’abord de ses agents dont les privilèges étaient devenus rapidement intolérables, de limiter aussi ses juridictions en interdisant au Saint-Office de connaître des affaires de bigamie, de blasphème, d’usure, etc. En 1516, Léon X paraissait acquis à une telle réforme. Il reste à savoir pourquoi elle n’est pas intervenue immédiatement, quel rôle ont joué la mort de Ferdinand, l’avènement de Charles Ier, le futur Charles Quint, la mort du chancelier Jean le Sauvage favorable à la réforme, l’attente de l’élection impériale, les débuts de la Réforme...

    Ce retard, en tout cas, devait être décisif : en 1522, le nouveau pape Adrien VI n’a rien à refuser au roi de Castille et d’Aragon qui est aussi l’empereur Charles Quint, son ancien élève[5]. Comment d’ailleurs le pape, Adrien VI ou son successeur, aurait-il les moyens de s’opposer en Espagne même au monarque dont il a le plus urgent besoin pour combattre la Réforme ? Même lors des affaires les plus scandaleuses aux yeux de Rome, comme le procès intenté par l’Inquisition à l’archevêque de Tolède, Bartolomé Carranza, le pape n’aura pas les moyens d’imposer ses vues. Il y a distorsion évidente entre le droit (la souveraineté de Rome sur l’Inquisition) et le fait.

    Le Saint-Office contre les juifs

    Enfin, que cela plaise ou non, comment ignorer que la création de l’Inquisition espagnole correspond au déferlement de l’une des plus puissantes vagues d’antisémitisme que l’on ait connues en Europe ? Cet antisémitisme avait pris une force particulière au sein des masses urbaines d’Andalousie et de Nouvelle-Castille, travaillées par les moines et notamment les dominicains, champions attendus des luttes contre l’hérésie. L’inspirateur de l’Inquisition fut le prieur du couvent des dominicains de Séville, Alonso de Hojeda, qui exerçait une influence très grande sur les rois catholiques. Il dénonça l’existence de nombreuses communautés conversas qui pratiquaient clandestinement le judaïsme. Et l’enquête menée par l’archevêque de Séville, Pedro Gonzalez de Mendoza, confirma la réalité des révélations d’Alonso de Hojeda.

    Mais l’offensive des dominicains aboutit parce qu’elle se nourrit de l’antisémitisme des masses. Les artisans, les boutiquiers, les laboureurs vieux-chrétiens envient la réussite matérielle et sociale des juifs et des conversos qu’ils accusent d’être mal convertis, leurs succès comme manieurs d’argent au service de la fiscalité royale, leurs talents d’hommes de sciences ou d’hommes de lettres, leurs alliances matrimoniales avec l’aristocratie. La recherche historique commence à découvrir que, contrairement à ce qui a été écrit jusqu’ici, les familiers de l’Inquisition des premières générations, milice supplétive de l’institution, ont été recrutés dans ces catégories sociales et non au sein des classes dominantes qui ne se sont intéressées que plus tard à la familiature.

    Il est alors normal que l’opposition à l’Inquisition ait été particulièrement forte à Barcelone, à Valence, à Saragosse, c’est-à-dire au sein de sociétés largement pénétrées par les intérêts mercantiles et qui savaient ce qu’elles devaient à l’esprit d’entreprise et au travail des juifs ou de leurs descendants.

    Il reste que l’Inquisition a fait plus de victimes en cinquante ans, avant 1530, que pendant les trois siècles suivants et plus de 90 % de ces condamnés à mort furent des juifs. Un processus de rejet de cette importance implique la société tout entière, appelle sans doute à une meilleure connaissance de la crise économique, sociale, spirituelle, de la fin du Moyen Age espagnol.

    Voici donc le Conseil de l’Inquisition parmi les conseils de gouvernement. Il est composé d’ecclésiastiques. Mais, dans l’Espagne moderne, au XVIe siècle surtout, la présence d’ecclésiastiques de rang élevé ou de grande réputation dans les hautes sphères du gouvernement et de l’administration est habituelle, permanente. Il y a là une situation exceptionnelle dont le seul équivalent est l’Angleterre, de la Réforme d’Henry VIII jusqu’à la Guerre civile de 1640. Ce sont les ecclésiastiques qui dominent le Conseil des Indes ; ils sont présents dans les autres conseils, sauf sans doute dans ceux de la Guerre et des Finances. Ce sont des prélats qui président les Audiences, comparables à nos Parlements.

    Les hommes du roi

    Cette situation est parfaitement compréhensible si l’on se réfère au droit de patronage auquel les historiens ne prêtent pas une attention suffisante. Les papes avaient accordé avec quelque réserve aux rois catholiques le droit de nommer les titulaires des bénéfices ecclésiastiques les plus importants, notamment les archevêques et les évêques. Ce droit fut confirmé et étendu en 1523. Dès lors, l’intervention du pape se bornant à une confirmation, les évêques furent en Espagne hommes du roi autant qu’hommes d’Église. Il était naturel, compte tenu de leurs revenus et de leur influence, qu’ils soient associés étroitement aux tâches de gouvernement. L’Église d’Espagne (et d’Amérique espagnole) était une Église nationale tout autant que l’Église anglicane, mais elle avait fait l’économie d’une rupture avec Rome. Il y avait donc confusion entre l’État et l’Église, confusion fréquente entre les carrières de l’État et celles de l’Église, passage naturel des unes aux autres. La thèse de Jean-Marc Pelorson vient d’ailleurs de démontrer à quel point les jeunes letrados des XVIe-XVIIe siècles hésitaient longuement entre l’Église et le laïcat[6].

    Or les inquisiteurs ne le sont pas à vie. Les affaires d’Inquisition ne sont presque toujours qu’une étape dans leur carrière, une étape parfois mineure. Au fait, qui sont les inquisiteurs ? Julio Caro Baroja dont le flair et l’acuité d’esprit ne sont jamais en défaut a constaté, dans un essai court mais dense, que les historiens ne s’étaient guère occupés de savoir qui étaient les inquisiteurs, quels avaient été leur formation, leur carrière, leur destin[7].

    Qui sont les inquisiteurs ?

    Nous sommes maintenant en mesure de combler cette lacune essentielle. Et il faut d’emblée détruire une légende tenace, celle qui associe l’Inquisition espagnole à l’ordre dominicain. Certes, on vient de l’écrire, l’Inquisition moderne, comme la médiévale, est née d’une initiative des dominicains, les premiers inquisiteurs (et bien sûr le célèbre Torquemada) étaient des dominicains. Mais, très vite, les dominicains perdent la maîtrise de l’institution. Désormais, les inquisiteurs seront presque tous des membres du haut clergé séculier, ayant fait de fortes études universitaires sanctionnées par un titre, et, il faut le souligner, engagés dans une carrière d’Église ou d’État, voire d’Église et d’État.

    Sur 45 inquisiteurs généraux, de 1481 à 1820, cinq dominicains seulement : Torquemada (1484-95), Garcia de Loaysa (1538-46), Luis de Aliaga (1618-25), Antonio de Sotomayor (1632-43) et enfin Jaime Tomàs de Rocaberti (1694-99). Ils sont demeurés, il est vrai, longtemps en fonction. Mais seuls les deux premiers furent des personnalités de premier plan.

    Mais, ce qui est plus important, c’est de constater que les dominicains n’ont nullement dominé les tribunaux provinciaux, même dans la période initiale. A Valence, sur vingt inquisiteurs recensés de 1478 à 1530, cinq dominicains contre douze séculiers et trois individus non identifiés. Pour Tolède, le tribunal le plus prestigieux avec celui de Séville, on dispose des résultats déterminants de la recherche de Jean-Pierre Dedieu.

    Celui-ci a pu constituer la fiche signalétique des 57 inquisiteurs passés par le tribunal de Tolède de 1482 à 1598, soit pendant plus d’un siècle. Un seul dominicain ! Mais 41 licenciés et 14 docteurs: 96,5 % de ces inquisiteurs sont des letrados , ils font partie de cette catégorie sociale sur laquelle s’est appuyé le gouvernement des Espagnes du XVIe au XVIIIe siècle, et surtout au XVIe siècle. Si l’on y regarde de plus près on s’aperçoit que douze de nos inquisiteurs tolédans sont passés par le collège de San Bartolomé de Salamanque, l’institution universitaire la plus célèbre de l’époque, et que six autres viennent du collège de Santa Cruz de Valladolid qui le cède à peine en renommée au collège salmantin, six autres viennent de collèges fort notables. Ainsi, près de la moitié des inquisiteurs tolédans ont fait leurs études dans les quatre ou cinq collèges les plus fameux du pays, pépinières de hauts fonctionnaires destinés aux avenues du pouvoir.

    De fait, au moment de leur nomination comme inquisiteurs de Tolède, 26 étaient déjà chanoines d’une cathédrale, d’autres étaient vicaires ecclésiastiques. Plus tard, quatorze de ces inquisiteurs siégeront au Conseil suprême de l’Inquisition ; seize deviendront évêques (dont quatre archevêques).

    Mais ce n’est pas seulement dans des fonctions d’Église que ces inquisiteurs s’illustreront par la suite : plusieurs deviendront auditeurs des audiences de Grenade et Valladolid et trois présidents de ces hautes cours. D’autres accéderont à la présidence des grands conseils de gouvernement : Francisco Tello de Sandoval, président du Conseil des Indes ; Mauricio Pazo y Figueroa, président du Conseil de Castille ; quant à Antonio Zapata de Mendoza, issu de la haute noblesse, il deviendra vice-roi de Naples.

    Le Conseil de la Suprême

    Quelques itinéraires personnels sont particulièrement significatifs. Soit Francisco Tello de Sandoval : passé par le collège de San Bartolomé et licencié, il devient chanoine de la cathédrale de Séville, puis inquisiteur de Tolède. Chargé d’une « visite » au Mexique, il est ensuite nommé évêque d’Osma, puis de Plasencia. Il devient président de l’audience de Grenade, puis de celle de Valladolid, enfin du Conseil des Indes. Ou Fernando de Valdès : ce noble asturien fit lui aussi ses études au collège de San Bartolomé de Salamanque. Tour à tour évêque d’Orense, Oviedo, Léon, Siguenza, archevêque de Séville, il siège au Conseil suprême de l’Inquisition et devient grand inquisiteur. Mais aussi président de l’audience de Valladolid et, consécration suprême, présfdent du Conseil d’État sous Philippe Ier. Ce sont bien des carrières qui mêlent dans un ordre chronologique variable les fonctions d’Église, d’Inquisition, d’administration et de gouvernement.

    D’autre part le Conseil de la Suprême, organe de gouvernement, a exercé une autorité croissante sur les tribunaux provinciaux. Il a contrôlé sévèrement l’activité et le comportement des inquisiteurs au moyen d’inspections périodiques très poussées dont les procès-verbaux constituent de très riches documents encore peu utilisés..., ce qui n’empêchait d’ailleurs pas beaucoup d’inquisiteurs d’éprouver et de vivre les passions des autres hommes, d’aimer la poésie, le jeu et la danse, de gratter la guitare, d’être irascibles et violents, de faire du commerce et de s’enrichir, d’entretenir de jolies femmes et de leur faire des enfants.

    Plus encore, le Conseil de la Suprême orientait la politique inquisitoriale. Il élaborait et révisait les Instructions générales comme celles de Deza en 1500 et de Valdès en 1561 ; à partir du troisième tiers du XVIe siècle, il conduisait l’activité des tribunaux par l’intermédiaire des cartas acordadas, sorte de circulaires élaborées et rédigées en conseil. Les tribunaux rendaient compte de leur activité en adressant au Conseil des relations de causes, résumés des procès, et en sollicitant fréquemment son arbitrage.

    Or, les membres du Conseil de la Suprême étaient nommés par le roi et deux membres du Conseil de Castille assistaient régulièrement aux sessions de l’après-midi. L’Inquisition est bien un élément essentiel de l’appareil d’État. Il reste à voir comment elle a appliqué la politique de la Couronne.

    Une police politique

    Il existe un épisode à propos duquel tout le monde est d’accord : celui d’Antonio Pérez. Personne en effet ne peut s’y tromper : en la circonstance l’Inquisition s’est mise intégralement au service de la Couronne. On sait que l’ancien secrétaire d’État de Philippe II. convaincu d’avoir mal servi son maître et de l’avoir trompé, notamment à propos du rôle de Don Juan d’Autriche aux Pays-Bas, coupable d’avoir organisé un assassinat avec l’assentiment tacite de Philippe II mais sur la foi d’informations fausses, avait alors été emprisonné ; puis, auteur d’une évasion rocambolesque, il s’était réfugié en Aragon, à l’abri des fueros du royaume, ce qui lui garantissait sinon l’impunité du moins un jugement en bonne et due forme et, puisqu’il était détenteur de secrets d’État, la possibilité d’un compromis.

    Or, Philippe II n’a pu tourner les fueros que par l’Inquisition, seule institution à exercer une autorité égale sur tous les royaumes d’Espagne. Le grand inquisiteur a fait forger de toutes pièces une accusation d’hérésie (pour un soi-disant blasphème) contre Antonio Pérez. Dès lors, le Saint-Office de Saragosse s’en fut le chercher à la prison civile pour le transférer dans la prison secrète de l’Inquisition. Antonio Pérez était de nouveau à la merci du roi.

    Je passe sur les détails de l’épisode qui soulignent le rôle du Saint-Office comme instrument politique, comme « arme absolue » de la monarchie dans les situations les plus difficiles. Je signalerai seulement qu’une part très importante de l’activité du tribunal de Saragosse, de 1591 à 1593, fut employée à poursuivre les responsables de l’émeute de 1591 qui permit la fuite en France d’Antonio Pérez, c’est-à-dire que le tribunal de Saragosse fut alors utilisé comme police politique. Mais il est préférable de mettre en valeur des faits moins connus : ils feront apparaître que l’épisode d’Antonio Pérez, pour être le plus spectaculaire, n’est pas isolé.

    Contre la « cinquième colonne » barbaresque

    L’Inquisition a joué le même rôle de police politique contre les morisques. Non contre les morisques en tant qu’hérétiques ou apostats mais comme danger politique, foyer de rébellion, cinquième colonne des Turcs et des Barbaresques. Dans les années 1525-1530 à Valence, puis dans les années 1570, enfin dans les années 1609-1614, cette fonction de l’Inquisition apparaît à l’évidence. Sur les courbes établies par Jaime Contreras et Gustav Henningsen on s’aperçoit que les causes de mahométisme à Saragosse représentent un pourcentage de 56,5 %pour l’ensemble de la période 1560-1614. Mais ce pourcentage est encore beaucoup plus élevé dans les années 1570, puis de 1609 à 1614. Et, surtout, la lecture des relations de causes est éclairante : il s’agit moins de pratiques et de cérémonies musulmanes que de détention d’armes ou de chevaux achetés aux passeurs français, surtout béarnais, et des rêves de revanche des morisques saisis par une sorte de messianisme musulman que l’arrivée des « Turcs » incarnerait.

    Toujours les années 1570. La flotte des galères de Méditerranée manque de rameurs au moment des grandes entreprises chrétiennes contre les Turcs. Qu’à cela ne tienne ! La Suprême commue systématiquement en peines de galères à vie les condamnations à mort infligées par les tribunaux inquisitoriaux pour cause d’hérésie, de sodomie ou de bestialité. Et les polygames en bon état se voient infliger régulièrement des peines de galères à temps.

    Considérons maintenant le début du XVIIe siècle. En 1604 est enfin signée la paix avec l’Angleterre et le rapprochement diplomatique avec Jacques Ier s’affirme. Aussitôt la Suprême élabore une carta acordada qui recommande aux juges de procéder avec beaucoup de ménagements contre les sujets anglais qui pourraient être poursuivis pour cause d’hérésie. Vérifions sur pièces le sort fait à cette instruction. Le tribunal de Séville est tout indiqué : de 1605 à 1612, les affaires concernant les Anglais (généralement des marins) sont régulièrement suspendues ; si l’affaire est malgré tout sérieuse, par exemple dans le cas d’une propagande protestante éclatante, l’accusé est finalement absous, au pire, tel Jérôme Yard d’Exeter, condamné à deux ans de formation religieuse dans la chapelle de San Lucar ! En 1609, après la proclamation de la Trêve de Douze Ans, la même tolérance s’appliquera aux Hollandais. Pendant ce temps les Français accusés des mêmes délits sont durement traités.

    Même époque. La monarchie de Philippe III n’en finit pas de calculer son déficit. Elle obtient en 1605 du pape un bref accordant aux juifs convertis d’origine portugaise un pardon général pour leurs errements moyennant le versement à la Couronne de 1 800 000 ducats. Belle somme ! Et s’ouvre pour les marranes[8] une large plage de tolérance. Olivarès a médité l’événement et, lorsqu’il accède au pouvoir à l’avènement de Philippe IV (1621), il s’appuie résolument sur le crédit des marranes en échange de sa protection. De fait, pendant une quarantaine d’années et à quelques exceptions près qui concernent des affaires trop spectaculaires, les inquisiteurs font preuve d’une mansuétude insolite envers les judaïsants. Mais, après la chute du comte-duc, le réveil sera brutal.

    Guerre de Succession : de 1702 à 1714 certains tribunaux poursuivent ceux qui ne reconnaissent pas Philippe V comme roi légitime. Révolution française, 1789. L’Inquisition est en pleine décrépitude et le pouvoir monarchique n’en fait plus grand cas. Cependant, devant le danger de contagion révolutionnaire, elle peut redevenir utile. Le gouvernement de Charles IV décide de nommer deux contrôleurs de livres dont un inquisiteur auprès de chaque bureau d’administration douanière.

    L’Inquisition et les contrebandiers

    Ce ne sont là que des exemples. On pourrait les multiplier, évoquer le rôle de l’Inquisition dans la surveillance des étrangers, qui n’a pas que des raisons religieuses ; ou les demandes de renseignements de l’administration royale aux tribunaux à propos de candidats à des emplois publics... Il faudrait surtout, travail à entreprendre, dresser un tableau synoptique des cartas acordadas et des grands faits de politique intérieure ou extérieure. Observons seulement aujourd’hui que les Espagnols étaient parfaitement conscients de l’insertion de l’Inquisition dans l’appareil d’État et, avec le temps, ils avaient fini par trouver cela normal. En 1606 la ville de Medina del Campo, centre commercial fort important, proposa de confier au Saint-Office la répression des évasions clandestines de monnaie et des cas de fausse monnaie ; en 1619 Sancho de Moncada, l’un des écrivains « politiques » les plus remarquables du XVIIe siècle, dont on vient de rééditer l’œuvre dans une luxueuse édition, demanda que l’Inquisition ait juridiction sur la contrebande des marchandises parce que la contrebande était une affaire d’État...

    Si au XVIIIe siècle, et surtout sous Charles III, donc dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les hommes des Lumières, tenants convaincus du régalisme monarchique, deviennent de violents adversaires de l’Inquisition, tels Campomanes ou Jovellanos, c’est qu’elle est devenue à leurs yeux inutile et nuisible. Inutile parce que les gibiers traditionnels de l’institution ont disparu, parce que les tribunaux fonctionnent mal désormais et que les juges ne font plus très peur, enfin parce que l’État dispose d’autres moyens de contrôle social depuis la mise en place d’une véritable administration. Nuisible parce que l’image de marque de l’Inquisition en Europe, déjà façonnée par la Légende Noire, est désastreuse. Elle empêche de croire à la chance des Lumières en Espagne. Enfin, en raison de la différenciation croissante entre carrières d’Église et carrières d’État, elle est devenue un État dans l’État, un faisceau de privilèges que la raison d’État ne justifie plus.

    Tel est le premier problème mis en lumière par le renouvellement des études sur l’Inquisition, qui échappent enfin au climat de passion où elles baignèrent naguère : celui de la nature même de l’institution, que l’on avait prétendu résoudre à coups de textes sans prendre suffisamment garde aux circonstances, aux suggestions de la chronologie, enfin surtout aux hommes qui l’ont incarnée. Notre thèse sera sans doute discutée, voire mise en pièces. Mais il faudra à nos contradicteurs éventuels beaucoup de travail pour y parvenir.

     

    1. L'ouvrage d'Henry Charles Lea, A History of the Inquisition of Spain, qui date de 1905-1907, a été réédité en 1966 dans les American Scholar Publications, New York, 4 vol. Quant au livre d'Henry Kamen, Histoire de l'Inquisition espagnole, Albin Michel, 1966, trad. de l'anglais, il constitue une mise au point claire et commode mais les publications relatives à l'Inquisition se sont accumulées depuis douze ans et il est maintenant quelque peu dépassé.

     

    2. Louis Sala-Molins, Le Manuel des Inquisiteurs, Paris, EPHESS et Mouton, 1973, pp. 18-25.

     

    3. On appelle conversos ou confesos les juifs espagnols convertis au catholicisme.

     

    4. Fueros, c'est-à-dire privilèges politiques ou juridiques appartenant à une région, une ville, une catégorie sociale ou professionnelle.

     

    5. Sur Adrien VI, voir, dans le n° 7 de L'Histoire, décembre 1978, l'article de Robert Delort, « Adrien VI, dernier pape non italien ».

     

    6. Jean-Marc Pelorson, Les Letrados juristes castillans sous le règne de Philippe III, Thèse, Bordeaux, 1978 (exemplaire dactylographié, 4 tomes). Les letrados étaient les diplômés des universités qui ont joué un grand rôle dans le gouvernement des Espagnes aux XVIe et XVIIe siècles.

     

    7. Julio Caro Baroja, El Senor inquisidory otras vidas por oficio, Madrid, 1968, Alianza Editorial. Cinquante pages (pp. 14-63) très suggestives à propos de la personnalité et des carrières des inquisiteurs.

     

    8. Marrano signifie porc en espagnol. L'appellation de marrane appliquée aux juifs convertis d'origine portugaise était donc particulièrement insultante.

     

    D'UN INQUISITEUR GÉNÉRAL À L'AUTRE...

    . Tomas de Torquemada : Ce dominicain symbolise à lui seul l'Inquisition et il a beaucoup contribué à la naissance de la Légende Noire qui met à mal la vérité historique. Nommé inquisiteur de Séville en 1482, Torquemada devint dès 1483 le premier grand inquisiteur général pour la Castille et !'Aragon et il le resta jusqu'en 1498. D'une impitoyable rigueur, il inspira ou rédigea les lnstructions de 1484 qui réglèrent la procédure inquisitoriale, beaucoup plus sévère que la médiévale... Il déploya une grande activité, parcourant le pays en tous sens afin de stimuler le zèle des inquisiteurs. Il faut cependant rejeter les affirmations de Llorente, qui lui attribue 8 800 condamnations à mort dont 1 200 au seul autodafé de Tolède en 1487. Ces chiffres sont très exagérés. La figure de Torquemada a inspiré les artistes et les écrivains (cf. le drame de Victor Hugo).

     

    . Ramon José de Arce : Inquisiteur général de 1797 à 1808. L'institution agonise ou presque et cet inquisiteur général est inattendu : créature du favori Godoy dont il partage les aventures amoureuses, il devient l'amant préféré de la brillante marquise de Mejorada. On prétend même qu'il fut franc-maçon ! A la fin du XVIIIe siècle l'Inquisition n'avait plus grand-chose de commun avec le redoutable tribunal de Torquemada.

     

     

     

    SIX SIÈCLES D'INQUISITION

    Le mot inquisition signifie recherche, enquête. La connotation péjorative, évoquant l'arbitraire, est venue de l'institution.

     

    L'Inquisition médiévale, résultat de la croisade contre les cathares, a été créée à Toulouse en 1229 afin de poursuivre les hérétiques. Trois bulles du pape Grégoire IX, de 1231 à 1233, ont donné un statut à l'Inquisition qui a été alors introduite dans de nombreux pays de l'Occident chrétien. C'est ainsi qu'elle est apparue dans le royaume d'Aragon en 1237.

     

    L'Inquisition espagnole est née de la bulle du pape Sixte IV du 1er novembre 1478, sur la demande précise des rois catholiques, Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille, afin de mener une répression efficace des juifs convertis au catholicisme et qui continuaient à judaïser en secret. Devenue un tribunal commun à tous les royaumes d'Espagne, l'Inquisition poursuit progressivement de nouvelles catégories de délinquants, qu'ils contreviennent aux dogmes ou à certains aspects de la morale catholique.

     

    Abolie une première fois en janvier 1813 par les Cortès de Cadix, l'Inquisition, rétablie par la Restauration en 1814, fut définitivement supprimée par un décret du 15 juillet 1834.

     

     

     

    LES VICTIMES DE L'INQUISITION

    La mort : elle n'a frappé qu'une petite partie des victimes de l'Inquisition qui a infligé bien d'autres peines : la prison à temps ou à vie, les galères à temps ou à vie, les confiscations de biens partielles ou totales, les bannissements, les coups de fouet, les pénitences spirituelles enfin, sans oublier le port du sanbenito, tunique jaune infamante...

     

    Combien d'exécutions capitales ? 80 à 90 % de ces exécutions ont eu lieu avant 1530 et ce sont les juifs qui en ont été victimes.

     

    Seul le tribunal de Valence a fait l'objet d'une étude complète et scientifique. Sur 1 842 personnes jugées avant 1530 et dont on connaît de façon certaine le sort, 754 ont été exécutées, soit 41 %. Le tribunal de Séville aurait été encore plus sévère, les autres moins. Au total plusieurs milliers de victimes sont alors montées sur les bûchers, environ 5 000, presque toutes judaïsantes.

     

    De 1530 à 1560 la rigueur s'est beaucoup relâchée sans qu'il soit possible de calculer le nombre et le pourcentage des exécutions par rapport à celui des procès.

     

    De 1560 à 1700 nous disposons de toutes les sentences, environ 50 000. La peine de mort est devenue exceptionnelle, 1 % d'exécutions effectives, soit quelque 500 pendant cette période.

     

    Enfin, après 1700 on ne compte plus guère que 100 à 200 exécutions effectives dont la moitié pendant les années 1721-1725.

     

    Après 1530 apparaissent de nouvelles catégories de victimes : morisques, protestants, homosexuels, coupables de bestialité, mais les judaïsants sont encore parmi les victimes, de 1640 à 1660 et de 1721 à 1725 surtout.

     

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    POUR EN SAVOIR PLUS

    Si vous lisez l'anglais et si vous êtes prêt(e) à une lecture de longue haleine :

     

    Henry Charles Lea, A History of the Inquisition of Spain, New York, 1905-07, 4 vol., réédition, American Scholar Publications, 1966. L'ouvrage le plus complet mais parfois vieilli.

     

    Si vous lisez l'espagnol :

     

    Historia 16, "La Inquisicion", Numéro spécial, Madrid, décembre 1976. Un carrefour d'articles de qualité rédigés par les meilleurs spécialistes. La revue Historia 16 bénéficie d'une importante diffusion.

     

    Ricardo Garcia Carcel, Origenes de la Inquisicion espanola. El tribunal de Valencia, 1478-1530, Barcelone, Ed. Peninsula, 1976. Une étude très remarquable, la première que l'on possède sur l'histoire d'un tribunal. De plus l'auteur a rédigé en introduction un excellent essai sur l'historiographie de l'Inquisition.

     

    En français :

     

    Henry Kamen, Histoire de l'Inquisition espagnole, Paris, Albin Michel, trad. de l'anglais, 1965, 338 p. Un bon livre, clair et complet... à la date de sa publication.

     

     

    Louis Sala-Molins, Le Manuel des Inquisiteurs, introduction, traduction et notes de L. Sala-Molins, Paris, Ed. Mouton, 1973, 249 p. Il s'agit du texte de l'inquisiteur catalan Nicolau Eymerich (1376), repris et commenté par l'inquisiteur castillan Francisco Pena (1578). Il est important de disposer de ce texte dans une édition commode. Nous ne partageons pas toutes les opinions du traducteur et commentateur mais elles ouvrent une discussion stimulante.

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